La première alternance politique de 2000 a constitué un moment fort dans la vie de notre jeune Nation et permis de sanctionner un pouvoir socialiste autoritaire, antidémocratique et expert en tricheries électorales. Elle a, aussi, mis fin à une longue période de stagnation et de léthargie dues au fait que les barons socialistes pensaient leur pouvoir indéboulonnable.
Profitant des fruits amers de l’ajustement structurel subi par notre pays, le président Wade a eu, à son actif, des réalisations indéniables, encore que des projets à forte prégnance électoraliste ont été privilégiés par rapport aux investissements structurants, le tout dans une ambiance de matraquage médiatique démesuré.
De plus, le mode de gestion d’Abdoulaye Wade a aussi été caractérisé par une amplification des phénomènes de corruption, l’accentuation de tares aussi néfastes que le clanisme, le népotisme, la patrimonialisation du pouvoir politique, la discrimination confrérique …etc.
L’alternance politique de 2000 fut donc le résultat de la fiabilisation progressive du fichier électoral et de l’incapacité du pouvoir socialiste de satisfaire une demande sociale pressante. Elle venait couronner quarante années de luttes du mouvement national démocratique sénégalais pour la démocratisation de la vie publique.
Mais bientôt, les secteurs les plus lucides de la Nation, se rendirent compte de l’existence de graves lacunes dans l’offre politique de la coalition SOPI, qui semblait vouloir remettre en cause tous les engagements auxquels elle avait souscrit dans le cadre du programme de la CA2000. Visiblement, le leader du PDS, principal dirigeant de la nouvelle équipe au pouvoir, profitant du déficit d’appropriation par les masses populaires des problématiques démocratiques, ne cherchait qu’à devenir "calife à la place du calife", aidé en cela, par la dislocation du pôle de gauche.
De fait, il allait prendre l’ensemble des Institutions en otage, renvoyant ainsi aux calendes grecques, les réformes institutionnelles promises dans le programme de la CA 2000.
Ce n’est donc point un hasard, si les dernières années de son deuxième mandat ont été marquées par l’essor des mouvements citoyens et la tenue des Assises Nationales ayant, entre autres, pour objectifs l’émergence citoyenne et la refondation institutionnelle.
Une des différences fondamentales entre la première alternance de 2000 et celle de 2012 réside dans le fait qu’en 2008, toutes les forces vives de la Nation, évoluant en dehors de la sphère d’influence wadiste, se sont retrouvées dans l’initiative des Assises Nationales.
Celles-ci marquèrent le début de la prise de conscience par les partis de la mouvance socialiste, ayant perdu, en 2007, leurs dernières illusions de remporter séparément une compétition électorale contre le nouveau Parti-Etat libéral, d’une nécessité de la refondation de l’Etat. Ils se rendaient bien compte que le président Wade utilisait les mêmes recettes, dont il avait fait usage, pendant des décennies, pour se maintenir au pouvoir.
Plus qu’une question d’hommes, il s’agissait, en fait, d’une question de système. C’est pourquoi, ils décidèrent, ensemble avec les forces de gauche et la société civile, de dresser le bilan des politiques publiques et reconnurent que les dysfonctionnements des Institutions de la République dataient de l’accession de notre pays à la souveraineté internationale.
Les Assises allaient mettre en exergue la nécessité de faire du Sénégal un État de droit, un pays où la gouvernance est fondée sur l’éthique, la démocratie participative, la concertation, le respect des institutions, des libertés individuelles et collectives, la défense des intérêts nationaux.
Cette généreuse offre politique eut un tel rayonnement qu’elle permit à l’Opposition d’alors de défaire politiquement le parti démocratique sénégalais et ses alliés lors des élections locales de 2009 et d’installer la Nation sénégalaise dans une dynamique de défiance par rapport à la gouvernance désastreuse de Wade, qui envisageait de violer le principe de limitation des mandats, qu’il avait lui-même établi et d’instaurer une dévolution monarchique du pouvoir.
Devant les atermoiements d’une Opposition politique incapable de s’unir, c’est plutôt l’effervescence sociopolitique tenue à bout de bras par les mouvements citoyens, les organisations de la société civile et de défense des droits de l’Homme, qui constituera l’élément décisif pour mobiliser toutes les énergies en vue de se défaire de l’hydre wadiste.
C’est que va comprendre le candidat Macky Sall, miraculeusement qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle de février – mars 2012, qui n’hésitera pas, une seconde, à aller rendre une visite de courtoisie des plus prévenantes au doyen Amadou Mahtar Mbow, Président des Assises Nationales.
Cela lui vaudra le soutien précieux du Comité national de Pilotage des Assises Nationales, qui face à sa volonté proclamée d’endosser les conclusions des Assises Nationales, en appellera « à toutes les parties prenantes et à l’ensemble du peuple sénégalais à se mobiliser autour du candidat Macky SALL ».
Malheureusement, la deuxième alternance de 2012, loin de corriger les travers de la première, allait plutôt les confirmer, dans une atmosphère de mauvaise foi et d’hypocrisie ahurissantes. Tout semblait se passer, comme si au lieu de procéder à des réformes venues à maturité et portées par le peuple des Assises, on voulait faire tourner, à l’envers, la roue de l’Histoire.
Une fois élu, le nouveau président, dont la marge de manœuvre se trouvait considérablement accrue, allait mettre en place, le 14 septembre 2012, lors de la Journée des Institutions, une Commission Nationale de Réforme des Institutions, dont la direction fut confiée au Pr Amadou Mahtar Mbow, mais qui apparaissait, aux yeux de beaucoup comme superfétatoire.
Pire, d’importants secteurs de la Coalition Benno Bokk Yakaar, mais surtout ceux proches des cercles présidentiels, allaient manifester, à l’occasion de la cérémonie de remise du rapport de la CNRI au Président de la République, le 13 février 2014, une hostilité virulente aux recommandations et à l’avant-projet de Constitution proposés par la CNRI.
C’est finalement, le 31 décembre 2015, après presque quatre ans de tergiversations et d’hésitations, que le Président de la République, lors de son message à la Nation, allait mettre un terme aux illusions de certaines forces de gauche passées maîtres dans l’art de ménager la chèvre et le chou et qui rêvaient encore de faire prévaloir leurs aspirations en faveur des conclusions des Assises nationales et du projet de réforme des Institutions proposé par la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI).
Le dernier jalon de cette vaste entreprise de mystification allait être posé lors du discours présidentiel du 16 février 2016, qui allait consacrer la volte-face de Macky Sall sur la réduction de son mandat de 7 à 5 ans, comme acte ultime du processus de remise en cause de la totalité de l’héritage des Assises nationales, entamé depuis son accession à la magistrature suprême.
Ce fait allait, en définitive, être confirmé par la publication d’un projet inique de réforme constitutionnelle, dont les dispositions étaient très en deçà des principes d’une refondation institutionnelle bien comprise.
Puis vint le référendum-alibi caractérisé par une forte abstention, révélatrice du désaveu des masses populaires par rapport à la vaste escroquerie politique consistant à justifier les reniements du premier magistrat de la Nation par un avis / décision du Conseil constitutionnel.
Ce qui étonnait donc, en la matière, c’est moins le désistement du Président de l’APR par rapport à ses engagements pré-électoraux que la passivité des forces de gauche et des organisations de la société civile.
Il était, en effet, évident, que des réformes institutionnelles censées atténuer l’hyperprésidentialisme, renforcer le pouvoir législatif et autonomiser le pouvoir judiciaire ne pouvaient être que le fruit d’une âpre bataille contre le régime en place et non une aumône venant d’un leader visionnaire et bienveillant.
C’est dire, que malgré l’activisme fébrile de la Coalition au pouvoir cherchant à convaincre l’opinion que notre pays est bien sur la rampe de lancement de l’émergence économique, les Sénégalais ressentent un profond mal-être occasionné, non seulement, par une profonde misère matérielle et morale mais aussi par un dysfonctionnement majeur des Institutions de la République.
C’est ce qui justifie l’assertion, selon laquelle, entre la précédente équipe "sopiste" et l’actuel pouvoir "apériste", la continuité est de mise.
Il semble bien, qu’après la sanction, le 19 mars 2000, des quarante années de règne socialiste, nous nous trouvions depuis lors dans la même galère libérale.
NIOXOR TINE